Stacey Kent est une brillante chanteuse new-yorkaise installée à Londres depuis une dizaine d’années. C’est une interprète au timbre de voix exceptionnel, identifiable immédiatement. Elle revisite de manière très personnelle le “Great American Songbook” ainsi que la Chanson française avec un romantisme et une fraîcheur rare. Stacey Kent a déjà à son actif 8 albums sortis sur le label Candid . Son nouvel opus “Breakfast on the Morning Tram” – son premier pour le label Blue Note Rec. – est sans aucun doute le plus personnel et réussi. En plus de quelques chansons en français et de reprises de grands standards du répertoire américain, pour la première fois Stacey Kent nous propose 4 nouvelles compositions irrésistibles (FNAC).
Que se passe-t-il lorsqu’une artiste établie change de peau ? Mettez ce disque dans votre lecteur et vous le découvrirez.
“Breakfast On The Morning Train” est l’équivalent musical d’une poussée de croissance. Epaulés par Kasuo Ishiguro, un de nos plus brillants romanciers devenu désormais un parolier important, Stacey Kent et son fidèle partenaire, le producteur et saxophoniste Jim Tomlinson, ont exploré de nouveaux territoires. Ce disque que vous tenez dans les mains, le premier de Stacey sur Blue Note Rec, marque un tournant dans sa carrière. Une manière simple de décrire cette évolution est de recenser ce qu’il n’y a pas dans cet album : en l’occurrence, pas de Gershwin ou de Porter, pas de Rogers ou de Berlin, pas de Carmichael ou d’Ellington.
Le Great American Songbook dans lequel puise Stacey Kent depuis le début de sa carrière débutée il y a dix ans, n’est représenté ici que par trois chansons sur une douzaine. Cependant, toutes les chansons de ce disque sont cousines du prestigieux catalogue. Elles donnent l’impression de provenir du même univers musical, comme Jim Tomlinson me l’a confié. Elles racontent toutes des histoires, généralement avec mélancolie, chose que Stacey adore faire.
Elles évoquent toutes l’amour et le fait d’aimer. Il suffit de quelques écoutes pour qu’elles s’incrustent dans votre tête. Surtout, elles contribuent toutes à ce que Stacey donne le meilleur d’elle-même. Aucun de ses fans ne sera décontenancé par cet album. Il est plus probable qu’ils les enchantent. Elle n’a jamais chanté aussi bien. Quatre des chansons mettent en exergue le fait que Jim Tomlinson sait en écrire, chose qu’il n’avait jamais faite auparavant. Stacey et Jim avaient dans l’idée de travailler sur leurs propres chansons depuis longtemps déjà. Leur ami Ishiguro a proposé d’essayer d’écrire des textes qui, dans le cas présent, sont arrivés en premier. Alors qu’ils étaient partis faire du ski dans le Colorado, Jim, avec l’aide et les encouragements de Stacey, a composé quatre chansons fortes sur des textes d’Ishiguro. Je ne sais absolument pas si ses chansons sont du calibre des standards mais, à mes oreilles, elles sont toutes originales, belles et étonnantes.
Les textes d’Ishiguro sont intrigants : un peu mystérieux, parfois un peu étranges (une histoire d’amour dans un hôtel de glace ?), mais toujours intrigants. Trois de ces quatre chansons parlent de voyage, et il est question de mystères romantiques dans toutes. Elles ont également une saveur contemporaine et personne ne risque de penser qu’elles ont été écrites dans les années 30.
Et elles ne sonnent comme rien de ce que j’ai entendu au XXIe siècle. Stacey chante ici trois titres en français, deux chansons d’amour de Serge Gainsbourg, et un air de samba très populaire, extrait de la BO du film de 1966 “Un Homme Et Une femme”, composé par les Brésiliens Baden Powell et Vinicius de Moraes, avec un texte français de Pierre Barouh. Si vous n’êtes pas assez vieux pour vous rappeler du film, vous reconnaîtrez aussitôt cette chanson. Stacey a une licence en langues européennes et possède ce don pour prononcer les langues étrangères, qui va parfois de pair avec une bonne oreille musicale, aussi, mets-je au défi ses fans français d’entendre un accent américain dans sa voix. Sergio Mendes est un autre Brésilien représenté ici par sa chanson “So Many Stars”, dotée d’un texte de Marilyn et Alan Bergman. En dépit des apparences, elle est trop récente (1968) et ses origines trop bigarrées pour avoir été extraite du Songbook. Stacey chante également une chanson de Fleetwood Mac écrite par Stevie Nicks dans les années 70, “Landslide”, qu’elle s’accapare complètement. Et puis il y a trois extraits du Songbook : “Heardhearted Hannah”, “Never Let Me Go” et “It’s A Wonderful World”. Sur ce dernier, Stacey pénètre doucement un monde occupé par Louis Armstrong.
A mes oreilles, sa version est aussi puissante que celle de Satchmo. Mais il y a davantage sur ce disque que des chansons. Stacey a un nouveau groupe et il est remarquable. Un concert de Stacey Kent prend toujours les allures d’une jam : ses musiciens ont plus d’espace pour s’exprimer que sur ses disques, et l’interaction entre eux et leur chanteuse m’a toujours rappelé les meilleurs quintets ou sextets. J’ai le sentiment qu’il y a plus de jazz sur le disque que sur ses précédents, et ses nouveaux musiciens sont superbes. Il y a beaucoup de musique à assimiler ici.
La cerise sur le gâteau est le travail du guitariste John Parricelli qui ajoute énormément à l’ensemble en jouant de six guitares différentes. “Avec le nouveau groupe, un nouveau monde de possibilités s’est ouvert, nous invitant à l’explorer” m’a dit Stacey. C’est ce qu’ils ont fait et le résultat est merveilleux. Il convient de laisser le dernier mot à Stacey : “J’ai voulu me livrer davantage dans ce disque, de manière inédite pour moi.” Y est-elle parvenu ? Je le pense. A votre tour de vous faire une opinion. Robert G. Kaiser * Robert G. Kaiser écrit pour le Washington Post depuis quatre décennie
Peux-tu apporter un de ces CD pour que j’écoute? Merci
Bravo le blog s’enrichit en ce moment !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!