Visite de l’exposition “24 vues sans mont Fuji” au Musée des Arts Asiatiques de Nice.
À la fin de la période d’Edo (1603-1868) et après deux siècles de politique isolationniste, le Japon s’ouvre au monde et accueille en son sein les premiers photographes occidentaux. Arrivés dès la fin des années 1860, ces derniers contribuent à la construction d’une représentation visuelle et mentale du pays. Alors que le Japon entre dans une période de modernisation avec l’ère Meiji (1868-1912), ils s’intéressent surtout à la photographie touristique à travers le paysage et les scènes de genre traditionnelles. Samouraïs d’opérette, pêcheuses de perles, vraies ou fausses courtisanes donnent ainsi une vision exotique du Japon, conforme à l’image fantasmatique que les Occidentaux en avaient. Ces images, non dénuées de considérations mercantiles, rencontrent alors un vif succès auprès des visiteurs étrangers et leur diffusion participe à l’engouement des Occidentaux pour le Japon à la fin du XIXe siècle.
Avec sa série 24 vues sans mont Fuji, Nicolas Boyer s’appuie sur ces archétypes, qui au fil des décennies, se sont enracinés dans l’inconscient collectif occidental. Il y ajoute toutefois l’approche toute japonaise de l’ukiyo-e dans sa manière de se focaliser sur des instants de la vie quotidienne. Il joue avec les clichés que l’on peut avoir sur le Japon et les détourne pour montrer sa vision de ce pays. Usant du paysage urbain comme d’une toile de fond théâtrale, il gomme la frontière entre reportage et mise en scène et nous livre des images-récits d’un Japon d’aujourd’hui.
La démarche : des microfictions prises sur le vif
Trois mois durant, avant de partir pour le Japon, Nicolas Boyer a lu les récits de voyage de Nicolas Bouvier, l’enquête minutieuse de Ruth Benedict sur les codes sociaux, les réflexions de Junichirô Tanizaki sur l’ombre et la lumière. Il s’est plongé dans l’histoire la maison impériale, des mafias, de l’érotisme, du bouddhisme, de l’art. Il a absorbé des dizaines de reportages photographiques et de films.
C’est avec toutes ces images en tête qu’il se rend pour la première fois au Japon en 2018. Il aborde alors un itinéraire touristique, de Tokyo à Nagasaki, en passant par la plupart des villes importantes. Il y retourne l’année suivante, approchant cette fois des contrées moins connues, telles l’île de Sado ou le nord du Tohoku.
Les photographies se font rapidement, sur le moment. La majorité sont prises sur le vif, dans des situations de reportage, sans aucune interaction avec la personne photographiée. Les quelques mises en scène se sont faites systématiquement sur place, en deux ou trois minutes, en essayant de dialoguer à l’aide de signes ou de dessins. Contrairement à ce que l’image suggère, l’artifice est quasiment absent, les scènes les plus burlesques étant souvent les plus spontanées.
Biographie
Né en 1972, Nicolas Boyer se consacre dans un premier temps à l’analyse financière pour la grande industrie. Cette période, qu’il considère comme une erreur de jeunesse, le conduit à suivre une formation de photographe et de cameraman à l’École des Gobelins dont il obtient le diplôme en 2003. Photoreporter entre 2003 et 2005 pour la presse française et internationale (Libération, Le Nouvel Obs, Paris-Match, Stern, La Repubblica, etc), il devient ensuite directeur artistique dans des agences de communication entre 2005 et 2014 avant de revenir au photojournalisme en 2016. C’est toutefois cette expérience dans le domaine publicitaire qui marque son travail photographique. Il y apprend à regarder, à travailler les cadrages, à retourner une situation, à décaler une image pour rendre le résultant plus percutant.
Parce qu’elles se situent à la croisée de l’art contemporain, de la publicité, du reportage, les photographies de Nicolas Boyer offrent un regard différent sur le Japon. Elles jouent avec les clichés et les situations, le paysage faisant office de toile de fond théâtrale.